En République Démocratique du Congo, l’ancien président de la commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille nangaa, donne de la voix sur le processus électoral encours dans son pays. Cet expert électoral s’est attardé dans une longue tribune publiée ce jour, sur le bon et mauvaise pas entourant ces élections de 2023 au regard de son expérience.

Pour lui, l’ennemi numéro un du processus électoral, reste la méfiance entre les différents acteurs et parties prenantes qui généralement ne favorise pas un consensus dans une approche inclusive pourtant indispensable pour garantir l’organisation des élections libres, transparentes, crédibles, inclusives et apaisées, dans le strict respect de la constitution et des lois de la République.

ÉLECTIONS 2023 : LE BON ET LE MAUVAIS PAS AU REGARD DE L’EXPÉRIENCE

TRIBUNE DE
CORNEILLE NANGAA
ANCIEN PRÉSIDENT DE LA CENI

  1. Au fur et à mesure qu’on approche des échéances électorales prochaines, il coule abondamment d’encre et de salive, parfois pour s’inquiéter, sinon pour rassurer, la main sur le cœur – et cela est louable –, de l’engagement à respecter les délais constitutionnels quant à la tenue des scrutins.
  2. Cependant, qu’indiquent les faits et les paramètres techniques et opérationnels ?
  3. De cela se préoccupent – et bien à propos – les experts, parce qu’ils ne veulent pas d’assurances ni d’inquiétudes contra factum, au grand dam possible, aussi bien de la vérité sur le processus que celle des urnes elle-même.
  4. Ayant reçu plusieurs appels à exploiter l’expérience des élections antérieures, particulièrement celles de 2018, pour aider à consolider la bonne marche du processus électoral en cours, nous avons fini par croire au bien-fondé de cette démarche pour l’intérêt général – et rien que pour celui-ci – et y avons accédé. Car, il s’observe que les facteurs sujets à inquiétude lors du processus électoral de 2018 sont en train de se reconstituer.
  5. Voilà donc qui explique notre modeste contribution, face au silence quasi général à cet égard de l’ensemble des parties prenantes au processus électoral actuel, y compris plus visiblement celui de l’opposition qui semble peiner à se structurer et proposer une alternative crédible.
  6. Nous en appelons ainsi à la meilleure attention des uns et des autres, tous acteurs confondus, afin que soient prises les meilleures dispositions pour garantir l’essentiel (c’est-à-dire la République Démocratique du Congo en tant que territoire autonome régi par un état souverain, son intégrité et son unité, la cohésion nationale et la paix) en vue des élections apaisées dont les résultats soient acceptés par tous.
  7. Aujourd’hui comme hier, il se pose la problématique du respect du délai constitutionnel : il faut, bien entendu, s’en tenir au respect du délai constitutionnel pour la tenue des élections et éviter le glissement.
  8. Mais il va tout de même falloir allier l’impératif du respect du délai constitutionnel avec l’absolue nécessité des élections apaisées, c’est-à-dire : libres, inclusives, transparentes et dont les résultats seront acceptés par tous.
  9. Pour ce faire, il faudra un minimum de consensus sur les grandes options, tant il est vrai, ainsi que le constatent tous les experts locaux et extérieurs, que « l’absence de consensus politique sur la préparation des élections demeure le plus grand obstacle à l’organisation des élections en RDC » (cf. Rapport de la mission d’évaluation du processus publié par Consortium for Elections and Political Process Strengthening – CEPPS – le 18 juillet 2016).
  10. C’était vrai hier, c’est toujours vrai à ce jour.
  11. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à penser, entre autres, à la querelle sur le manque de consensus dans la désignation/nomination des acteurs clés devant intervenir dans l’organisation des scrutins, l’annonce des résultats provisoires, le traitement du contentieux électoral et la proclamation des résultats définitifs.
  12. Revenons d’abord à la situation de 2018.
  13. Décembre 2018, au terme d’un chemin long et sinueux, résolument engagée depuis décembre 2015 dans la ferme optique de la tenue des scrutins, la République Démocratique du Congo atteignait, enfin, le dernier virage de l’organisation matérielle des élections générales couronnant son 3ème cycle électoral. Les scrutins devaient, initialement, se tenir le 23 décembre 2018 conformément au calendrier électoral publié par la Commission électorale nationale indépendante en 2017. Ils se sont finalement tenus une semaine plus tard, soit le 30 décembre.
  14. Ces élections ont alors un enjeu de taille, à savoir : la possible première alternance politique au sommet de l’état, ce, six (6) décennies après l’accession du pays à sa souveraineté nationale et internationale.
  15. Près de Quarante (40) millions de congolais en âge de voter sont mobilisés et appelés aux urnes. En réponse à l’appel et grâce à la mobilisation tous azimuts des acteurs socio-politiques, l’engouement est au rendez-vous. Un bémol tout de même : les sceptiques se comptent encore par milliers et expriment un doute sérieux sur, non seulement la vérité et la sincérité de la volonté de tenir lesdits scrutins, mais aussi et surtout leur issue.
  16. Des rumeurs folles alimentent dès lors une forte psychose – justifiée ou non – et, du coup, tout laisse entrevoir le spectre d’une apocalypse quasi inévitable à l’issue des élections.
  17. Des discours, communiqués et messages venant des représentations diplomatiques et appelant leurs compatriotes à quitter le pays fusent, exacerbant ainsi cette tension. Des rumeurs et agissements des acteurs, d’une part, et les patrouilles armées aussi bien des éléments des unités spécialisées de la police nationale, des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ainsi que de la Mission des nations unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), d’autre part, ne font qu’intensifier la psychose.
  18. Eh oui, l’inquiétude monte, la peur s’installe !
  19. L’atmosphère aura été semblable à celle d’une grosse bombe posée et non désamorcée, dont on redoute la détonation, la déflagration et ses effets.
  20. Comme si cela ne suffisait pas, la nuit du 13 au 14 décembre 2018 amènera son lot de tourments. En effet, un coup de fil nous fait sursauter du lit à 2h40’ et nous annonce qu’un incendie vient de se déclarer aux entrepôts centraux de la CENI sur l’avenue des Forces armées, ex-Haut Commandement, à la Gombe. En marge de cela, la nation se réveillera au matin avec l’annonce du début des tueries à Yumbi.
  21. Les dégâts matériels sont énormes. Près de 10.000 Machines à voter en instance de déploiement vers les centres et bureaux de vote de la ville de Kinshasa, une dizaine de véhicules pick-up et autres articles de la quincaillerie électorale partent en fumée. Les violences de Yumbi ont occasionné également la destruction des équipements et matériels électoraux y déployés.
  22. L’incendie des entrepôts centraux est d’autant plus inquiétant qu’il est de nature à compromettre la tenue de scrutins à Kinshasa.
  23. La question était alors celle de savoir si un tel incendie était d’origine accidentelle ou criminelle. Ce qui est plus que certain, c’est que nombreux sont ceux qui n’ont jamais cru à un accident pensant que l’incendie n’était qu’un nouveau subterfuge devant justifier le report sine die des élections et le maintien au pouvoir de l’ancien Président de la République.
  24. Du fait de cette psychose, un seul langage sort des lèvres des kinois tout comme des populations des autres villes du pays : « faisons des provisions et ayons des réserves en vivres… ça va barder ! »
  25. Chacun, en ce qui le concerne, se prépare au pire. L’idée de violences éventuelles, de pillages et de chaos hante et terrorise les esprits. « Il y aura la guerre », nous déclare alors un diplomate. Et nous de lui répondre : « oui, il y aura la guerre chez vous, mais pas au Congo. »
  26. La situation est réellement tendue, on se prépare à la guerre – plus qu’à autre chose – sans vraiment savoir qui sont les protagonistes.
  27. Des puissances extérieures avaient pris des précautions à leur façon. Pour le seul cas des Etats-Unis d’Amérique, la lettre du Président Donald Trump datée du 4 janvier 2019, adressée à la Présidente de la Chambre des représentants, Madame Nancy Pelosi, en dit long.
  28. En effet, plusieurs marines américains (80) avaient été déployés à Libreville au Gabon, afin d’assurer la sécurité des installations diplomatiques et la protection des citoyens américains en cas d’éventuels troubles consécutifs aux élections du 30 décembre 2018 en République Démocratique du Congo. Les éléments déployés avaient des équipements appropriés de combat appuyés par des avions militaires.
  29. Du reste, des forces additionnelles, renseignait la lettre susmentionnée, « pourraient être déployées » pour la même fin, si nécessaire, en République Démocratique du Congo et en République du Congo (Brazzaville). « Le personnel déployé demeurera dans la région jusqu’à ce que la situation sécuritaire soit telle que leur présence ne soit plus requise ».
  30. C’est tout dire !
  31. Bien plus, le déferlement hors de la République démocratique du Congo, des expatriés vivant dans le pays, dont des diplomates ainsi que certains nationaux, afin de pouvoir suivre la situation de loin en évitant tout risque, n’a fait qu’aggraver cette tension.
  32. Les organisations internationales et nationales spécialisées dans l’humanitaire y ont mis du leur en activant, tambour battant, leurs plans respectifs d’urgence et de contingence, alimentant à leur tour la peur et la psychose.
  33. Nous nous rappelons que, quatre(4) mois après l’investiture du nouveau Chef de l’Etat, un opérateur économique, nous tenant à la main, nous avait dit : « mon cher ami, je ne sais comment te remercier et te féliciter. »
  34. L’événement (atterrissage en douceur du processus électoral) en valait la chandelle puisque l’opérateur économique en question, pour prévenir le pire qui pointait à l’horizon, avait fait venir au pays – à des fins humanitaires – dès début décembre 2018, un stock d’équipements médicaux dont trois appareils d’extraction de balles, en même temps qu’il avait recruté, pour trois mois, une équipe forte de 150 agents médicaux spécialisés, dont 15 médecins et 135 infirmiers, par anticipation pour parer à toute éventualité.
  35. Nous ne parlons pas de la pression sur notre famille, menacée et pétrifiée devant la perspective annoncée sur notre personne, vouée, sinon à une mort violente, tout au moins à l’exil ou la prison.
  36. Mais il y a aussi les pressions et menaces exercées sur nous et d’autres membres de la CENI, de la part aussi bien de chefs de missions diplomatiques de certaines puissances, qui allaient jusqu’à nous proposer l’exil sur le territoire de leurs pays respectifs, que de haut-gradés de l’armée et autres agents de sécurité du pays, dont certains eurent l’esprit traversé par l’idée d’une solution militaire pour tuer dans l’œuf la perspective de désordre qui s’annonçait, c’est-à-dire perpétrer un coup d’Etat.
  37. A côté de ce sombre tableau, il faut compter également parmi les facteurs inutilement stressants et susceptibles de plomber le processus, les débats oiseux, entre autres celui entretenu sur la machine à voter. Ce débat n’aura eu, en fin de compte, pour fondement que l’absence d’un contenu ou offre vendable en termes d’alternative politique réelle dans le chef des acteurs politiques. Somme toute, un débat cache-misère.
  38. Au bout du compte, il s’est avéré que ceux qui fustigeaient la machine à voter le faisaient parce qu’ils étaient convaincus qu’elle leur serait défavorable au bénéfice de leurs adversaires politiques, tandis que ces derniers soutenaient ladite machine parce qu’ils pensaient – curieusement comme leurs contradicteurs – qu’elle leur serait bénéfique. Tous étaient donc dans le faux. En témoigne l’issue des scrutins.
  39. La machine à voter a ainsi fait ses preuves, à tel point qu’aujourd’hui, tous les bords politiques et parties prenantes au processus électoral s’accordent sur son efficacité, son utilité et sa performance.
  40. Telle fut, de façon ramassée, l’ambiance d’incertitude et de quasi-paralysie dans laquelle se trouvait le pays, au point que, bien que la RDC soit un Etat laïc, les nombreux croyants, qui constituent tout de même la majorité de sa population, ont multiplié des veillées de prières pour supplier le Très-Haut de ne pas laisser le ciel tomber sur la tête des congolais.
  41. Dieu merci, le pays s’en est sorti sans casse, il est demeuré un, uni, avec un point d’orgue : la toute première alternance politique au sommet de l’État. Il s’en est suivi un renouvellement général des animateurs des institutions. Ce, grâce à la sagesse des hommes, mais surtout à la grâce de Dieu.
  42. Il n’est pas anodin de relever, à l’actif de ce processus de 2018, des atouts et acquis à capitaliser et à consolider. Il s’agit notamment de (d’) :

 Une expertise technique avérée. Nous devons, pour cela, une fière chandelle à l’Abbé Apollinaire Muholongu Malumalu, d’heureuse mémoire, lui l’architecte de la CENI dans la structuration qu’on lui connaît ;

 Une infrastructure informatique et des télécoms installée au siège et aux démembrements ;

 Une cartographie stabilisée des sites opérationnels (géolocalisation des centres d’inscription, des sites de vote, etc.) et bien géo-spatialisée, matérialisée par un atlas électoral partitionné au prorata des provinces ;

Dans sa tribu, ce digne fils du pays offre une panoplie d’expérience particulièrement des élections de 2018 à capitaliser par l’actuelle équipe de la CENI et les autres parties prenantes afin d’aider à consolider a bonne marche du processus électoral en cours.

 Une innovation technologique proprement congolaise à travers la machine à voter. Cette dernière a été conçue comme solution aux problèmes :

a) opérationnels : elle permet l’organisation de plusieurs types de scrutins directs le même jour ainsi que le traitement rapide des données ;

b) logistiques : elle aura permis de réduire sensiblement le poids et le volume des matériels électoraux à déployer. Elle a également permis l’optimisation de gestion par l’uniformisation du format des bulletins de vote, des procès-verbaux de vote et de dépouillement, ainsi que des fiches de résultats ;

c) financiers : la réutilisation des machines à voter sur près de 3 cycles électoraux permet de dégager des économies considérables.

  1. Venons-en à présent à l’analyse de quelques éléments du cycle électoral actuel comparativement à celui de 2018.
  2. A l’horizon des prochaines élections, et considérant le climat socio-politique délétère ambiant, la question se pose tout naturellement : faut-il encore revivre la même psychose, la rééditer en 2023 ?
  3. La question vaut son pesant d’or d’autant plus qu’à l’analyse, les faits en plantent le décor. Le bon sens et surtout la responsabilité interdisent qu’on s’y replonge, puisqu’il est clair qu’on peut l’éviter.
  4. Pour ce faire, à exactement 13 mois de la convocation du scrutin présidentiel, il sied, comme nous l’avons dit, d’allier l’impératif du respect du délai constitutionnel avec l’absolue nécessité des élections apaisées, c’est-à-dire : libres, inclusives, transparentes et dont les résultats soient acceptés par tous.
  5. L’alternance pacifique intervenue en RDC en 2019 a « surpris le monde ». L’expression est du Secrétaire exécutif de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) qui s’exprima ainsi au cours des travaux du module de formation bridge sur l’observation électorale et la table ronde sur le genre et les médias organisés à Nairobi/Kenya du 16 au 19 juillet 2019 par la CIRGL et l’ONU.
  6. Il s’observait en effet, comme relevé plus haut, une tension extrêmement dangereuse pour la paix et la stabilité du pays, du fait d’un long processus électoral caractérisé par la méfiance entre différents acteurs.
  7. Cette méfiance a engendré une crispation du climat politique, mettant en danger jusqu’à l’avenir même du Congo, alors que l’expérience de 2006 – annonce des résultats par la Commission électorale indépendante (CEI) dans un char de combats, suivie des affrontements armés et sanglants quelques jours plus tard en plein cœur de Kinshasa, capitale du pays – et celle de 2011 – un président proclamé élu par la CENI, confirmé par la Cour Suprême de Justice et prêtant serment au Palais de la nation pendant qu’un autre auto-proclamé prêtait serment en sa résidence – avaient provoqué chez les citoyens le sentiment du « plus jamais ça ».
  8. Il faut ajouter à cette tension nourrie de rumeurs alarmantes, d’autres ingrédients sujets à caution, tels un paysage politique particulier avec 603 partis politiques ; le retard dans l’organisation des scrutins ; des institutions au-delà de leur mandat ; l’absence d’un registre d’état civil ; ainsi que des défis financiers, logistiques et sécuritaires herculéens.
  9. Le processus de 2018 a eu à son actif, en sus des atouts et acquis pré-rappelés, quelques traits positifs du point de vue strictement politique. Il s’agit notamment du fait que les élections ont été organisées sur une base consensuelle grâce à deux accords politiques (l’un signé sous la médiation de l’Union Africaine et l’autre sous l’égide de la Conférence épiscopale nationale du Congo).
  10. Lesdits accords intégraient notamment un consensus politique sur la révision du fichier électoral, la séquence des élections et la création d’une institution chargée du suivi et évaluation du processus électoral, à savoir : le Conseil National de Suivi de l’Accord et du processus électoral. Et le plus fort de ces éléments positifs aura été la possibilité de l’alternance pacifique au pouvoir, aujourd’hui devenue un fait.
  11. Le caractère crucial et délicat des élections de 2018 ci-haut illustré pourrait servir de grille de lecture du processus actuel, étant donné que sur plusieurs plans, le tableau parait le même, sinon plus inquiétant aujourd’hui qu’hier.
  12. Aussi, en notre qualité de témoin privilégié des événements électoraux depuis 2006, estimons-nous que les congolais sont en droit d’attendre, à chaque nouveau processus électoral, une amélioration par rapport aux précédents.
  13. Que le processus électoral en cours soit meilleur que celui de 2018, tel est notre souhait le plus ardent. Voilà pourquoi nous appelons à considérer comme il se doit les sujets d’attention que présente le processus électoral actuel.
  14. En effet, s’agissant de la méfiance envers le processus, elle est allée bien au-delà des acteurs politiques entre eux et de l’attitude de ces derniers vis-à-vis de la CENI – dont certaines composantes disent ne pas reconnaitre les membres censés les y représenter –, pour affecter également la Cour constitutionnelle et même la loi électorale, adoptée par la majorité sans la participation des initiateurs de la loi et l’opposition.
  15. Les réformes annoncées, attendues, souhaitées, voire promises, sur les grandes options, notamment : le mode des scrutins présidentiel, des sénateurs et des gouverneurs de provinces, la problématique du seuil et du maintien ou non des centres locaux de compilation des résultats, et autres réformes envisagées, ont abouti à ce que les initiateurs eux-mêmes ont qualifié de « réformette ».
  16. Quant aux partis politiques, nous en sommes aujourd’hui à plus de 720.
  17. Par ailleurs, nous constatons que le pays est toujours dépourvu d’un registre d’état civil.
  18. Les défis financiers, logistiques et sécuritaires sont même devenus plus importants qu’en 2018 du fait, notamment, de l’insécurité. L’ampleur de celle-ci est telle qu’elle a nécessité que le Président de la République décrétât l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, encore qu’une partie du territoire national (Bunagana) échappe au contrôle du gouvernement, sans compter la mosaïque de forces invitées, non invitées et incontrôlées, toutes présentes sur le même théâtre opérationnel.
  19. La situation sociale, encore et toujours elle, n’est guère reluisante comme l’a reconnu et souligné le Président de la République lui-même : « je reconnais que la situation sociale de nos compatriotes n’est pas reluisante » (cf. Discours sur l’état de la nation du lundi 13 décembre 2021).
  20. Tout bien considéré, on se demande s’il y a des passerelles entre acteurs politiques pour arriver à une décrispation, notamment obtenir un minimum de consensus requis sur les options majeures concernant les élections. En tout cas, telle n’est pas l’impression qu’a l’opinion.
  21. On ne peut guérir cette vulnérabilité de la nation qu’en la considérant d’abord dans sa réalité en tant que fait, avant d’y trouver le remède approprié. Et le premier citoyen du pays, le Chef de l’État, ayant selon les dispositions de l’article 69 de la constitution, la charge d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions, ainsi que la continuité de l’Etat, a une responsabilité particulière à cet égard. Il est donc le seul à détenir le levier utile pour tempérer la surchauffe sociale et politique de plus en plus perceptible.
  22. D’autres analyses comparatives concernant les deux périodes de processus électoraux congolais renforcent ce besoin de consensus en termes de prérequis pour des élections apaisées. Tenez, en 2016, les paramètres étaient tels qu’il n’était pas possible d’organiser les élections cette année-là. Voici ce qu’en a dit le rapport précité du CEPPS dans sa recommandation.
  23. « Les conditions propices à la conduite d’élections crédibles sont insuffisantes. Des retards supplémentaires dans le processus risquent d’avoir des conséquences considérables aux niveaux politique, constitutionnel et social qu’il faut mesurer par rapport aux difficultés techniques que pose la tenue des élections. »
  24. Face à ce fait, la classe politique de l’époque a dû s’assumer en suivant la recommandation du rapport précité qui avait relevé qu’« Une discussion inclusive aboutissant à un consensus sur l’ordonnancement et les délais des élections, le financement du processus électoral et l’adoption d’un cadre juridique complet est nécessaire pour faire avancer ce processus. »
  25. Parmi les vulnérabilités identifiées du processus électoral de l’époque, ledit rapport avait relevé, entre autres, les positions politiques polarisées (c’est-à-dire concrètement l’incapacité des acteurs politiques à se mettre d’accord sur quoi que ce soit), alors que plusieurs éléments du processus sont liés aux décisions politiques susvisées, notamment l’option d’inscription des électeurs qui constitue un facteur essentiel d’agencement du calendrier électoral.
  26. En ce qui concerne le processus de 2016-2018, cette seule activité/opération nous a pris, on s’en souvient, 16 mois et 1 jour, sans compter la situation d’insécurité qui s’était improvisée dans les provinces de l’espace grand-Kasaï (phénomène Kamuina Nsapu), impactant négativement les opérations.
  27. Comme en 2016, le processus électoral achoppe aujourd’hui sur les mêmes écueils :

 le calendrier électoral n’est pas publié ;

 les nouvelles données collectées de la cartographie et l’atlas électoral actualisé restent à valider et à publier ;

 les nouvelles entités (villes et communes) créées depuis 2018 et devant servir de circonscriptions électorales en 2023, restent à installer ;

 l’opération de refonte du fichier électoral n’a pas commencé (près de 50 millions d’électeurs attendus contre 40 millions en 2018) ;

 la problématique de l’identification et enrôlement des Congolais de la diaspora se présente comme un nouvel inconnu ;

 il y a un débat en cours sur la mutualisation des efforts relatifs à l’inscription des électeurs sur les listes électorales, d’une part, et le recensement administratif de la population, d’autre part ;

NANGAA YOBELUO Corneille

NANGAA YOBELUO Corneille

 les défis logistiques sont d’une plus grande ampleur qu’en 2018 ;

 les défis financiers demeurent importants en dépit des efforts fournis par le gouvernement. A ce sujet, il est souhaitable que le décaissement effectué par le Gouvernement se fasse en adéquation avec le plan opérationnel de la CENI ;

 La dimension sécuritaire, quant à elle, se trouve être le défi le plus important. En effet, deux provinces entières restent sous état de siège, des tueries sauvages sont perpétrées au quotidien ; une partie du territoire est occupée ; des violences meurtrières sont déplorées à Kwamouth ; le banditisme urbain (phénomène Kuluna) a refait surface à Kinshasa ; etc.

  1. Entre temps, l’organe de gestion des élections lui-même reste sous le feu de la controverse politique, jetant le doute sur sa nécessaire impartialité dont des acteurs non-négligeables ne sont pas convaincus à la fois dans la classe politique et la société civile.
  2. La situation n’est pas nouvelle si l’on pense aux multiples débats d’antan sur le serveur, la machine à voter, les électeurs inscrits sans empreintes digitales, etc. Mais justement, toutes ces questions avaient fait l’objet de concertations appropriées à l’époque, pour éclairer la lanterne de tous, sans exception, et concourir ainsi à la création d’un large consensus, même si celui-ci ne doit pas être confondu avec l’unanimité à tout prix.
  3. Ce sont là des questions de fond qui méritent concertation, approfondissement et des solutions claires et qui ne soient pas pires que le mal à guérir.
  4. Au point où nous en sommes, les questions lancinantes sont les suivantes :
  5. Avons-nous encore du temps pour gérer avec efficience et à bonne date ce processus ?
  6. Pourquoi devrions-nous toujours attendre la pression des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et les sirènes des partenaires de la communauté internationale pour nous réveiller ?
  7. Faut-il que le constat du retard dans les préparatifs des élections vienne d’eux pour qu’il devienne perceptible pour nous ?
  8. En attendant que ces questions trouvent des réponses à travers les canaux appropriés et dûment habilités, ce qui est évident, c’est que le chemin vers les élections est un agencement ordonné des activités dont certaines sont susceptibles de chevauchement pendant que les autres ne le sont pas. Celles relevant de la dernière catégorie constituent ce qu’on appelle, en jargon électoral, le chemin critique du processus électoral. Ce chemin est parsemé de contraintes politiques, mais surtout de contraintes technico-légales. De principe, les contraintes politiques sont flexibles alors que celles techniques et légales sont rigides.
  9. Cela étant, la sagesse voudrait que rien ne soit altéré en ce qui concerne l’avancement quant aux contraintes technico-légales, car rigides, pendant qu’on évolue dans les prolégomènes vers des solutions aux contraintes politiques, selon les modalités appropriées et les règles de l’art.
  10. Tout compte fait, au regard de ce qui précède, par-delà les ambitions politiques légitimes des uns et des autres, nous avons à privilégier la paix et la stabilité que nous avons à consolider dans ce pays qui en a tant besoin. Cela passe par la vérité sur le processus avant la vérité des urnes.
  11. Ayant vécu l’expérience d’un conflit sanglant post-électoral en 2006, notre pays ne peut pas se comporter comme si cela n’arrive qu’aux autres.
  12. Nous l’avons heureusement évité en 2018, pourquoi prendre le risque de le voir poindre aux prochaines échéances ?
  13. Pourquoi ne pas entendre la voix de ceux qui préviennent que si l’on décide d’aller aux élections dans les conditions actuelles, on n’aura pas d’élections apaisées et ainsi anticiper les choses ?
  14. Car, l’ennemi numéro un du processus électoral, c’est la méfiance entre les différents acteurs et parties prenantes.
  15. Un minimum de consensus, dans une approche inclusive est donc indispensable pour garantir des élections libres, transparentes, crédibles, inclusives et apaisées, dans le strict respect de la constitution et des lois de la République.
  16. Voilà donc notre modeste contribution. Le lecteur y aura discerné en long et en large le bon et le mauvais pas s’agissant du processus électoral dans notre pays. Fort de l’expérience qui est la nôtre, et face au devoir citoyen auquel elle nous engage, nous avons osé conseiller à la République d’éviter le mauvais pas pour le bon, afin de garantir élections apaisées, c’est-à-dire : libres, inclusives, transparentes et dont les résultats soient acceptés par tous.

NANGAA YOBELUO Corneille
Ancien Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante